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Privation des droits civils et de la famille : “on nous enlève le privilège d’être citoyen”

  • Photo du rédacteur: polynegabinari
    polynegabinari
  • 9 juil. 2022
  • 3 min de lecture

Dernière mise à jour : 6 sept. 2022


À 50 ans, Eric n’a jamais pu voter. Il en a été privé l’année de ses dix-huit ans lorsqu’il est entré en prison. Détenu pendant quasiment 20 ans, il fait partie de ceux dont la citoyenneté a été estropiée.



A 50 ans, Eric n'a jamais pu voter © Marguerite Hennebelle/@andywahlol

Vous avez passé presque 20 ans en prison. Une fois dehors, vous êtes-vous senti intégré dans la société ?

À partir du moment où l’on sort de prison, on est plus détenu mais ce n’est pas pour autant que l’on se sent intégré. Dehors, le sentiment d’exclusion vous poursuit de nombreuses années. Il dépend de quelque chose de très personnel mais aussi du type de condamnation que vous exécutez. Pour ma part, le président de la cour d’assise a ajouté à ma peine une interdiction des droits civils et de la famille.


De quoi s’agit-il ?

Les droits civils et de la famille regroupent le droit de vote, le droit de monter une entreprise et le droit, dans le cas échéant d’avoir en qualité de père ou mère une autorité quelconque en tant que parent. Il y a aussi certains droits à la santé qui ne sont plus accordés tout comme des droits touchant à la propriété, à la descendance et à l’héritage. C’est une modalité à laquelle on ne fait pas forcément attention durant le jugement mais qui implique beaucoup de changements à la sortie.



"Après autant de temps en prison personne n’a envie de se frotter à nouveau au judiciaire pour récupérer ces droits."


Dans quels cas ces droits peuvent-ils être retirés ?

C’est une mesure qui reste assez rare et qui est appliquée dans les affaires les plus graves, celles où le juge estime que nos actes sont assez inquiétants pour nous enlever le privilège d’être citoyen. La condamnation est d’ailleurs souvent assortie d’une peine de 15, 20 ou 30 ans de prison. La particularité de cette privation est que l’on ne récupère pas ces droits automatiquement à la sortie de prison. Et, c’est là où tout se joue car après autant de temps en prison personne n’a envie de se frotter à nouveau au judiciaire pour récupérer ces droits.


Comment les récupérer à la sortie de prison ?

Pour en récupérer la totalité, le seul moyen est d’avoir un casier judiciaire remis complètement à blanc. Face à ça, il y a deux solutions : attendre 40 ans - au bout de 40 ans le casier de n’importe qui peut être remis à blanc - ou bien entamer une démarche judiciaire. Pour cela, il faut un maximum de témoignages prouvant sa bonne réhabilitation. Il y a ensuite une audience avec avocat et plaidoirie.


Vous-même vous avez entamé la démarche il y a plusieurs années déjà…

Tout à fait, j’ai 80 lettres qui attendent le juge dans mon tiroir ! Mais, même si j’ai de l’espoir je sais que cela va être très dur car, en matière criminelle aucune réhabilitation n’a jamais été acceptée.


"Je demande que l’on me pardonne, que la société pardonne les actes que j’ai commis."

Cela vous handicape-t-il dans la vie quotidienne ?

Si je ne suis jamais réhabilité, cela ne m'empêchera pas de vivre. Par contre, l’être changera beaucoup de choses pour moi d’un point de vue matériel. J’habite dans un milieu rural où, le meilleur moyen d’avoir un emploi est de le créer. Avec cette privation, je n’ai pas le droit de monter une société ni d’avoir des actionnaires. Cela me prive d’un grand nombre de subventions et m’empêche de monter des partenariats dans les domaines qui me plaisent. Malgré de nombreuses démarches, je suis également toujours interdit de droit de vote.


Pour vous, récupérer ces droits veut-il aussi dire redevenir “normal” ?

Je n’aime pas ce mot “normal”. Mais effectivement, vouloir récupérer l’intégralité de ses droits n’est pas seulement une question matérielle. Si on veut les récupérer, c’est pour être réhabilité, quitter cette vie où l’on a sans cesse l’impression d’être pointé du doigt, ce pressentiment de ne pas être compris ou d’être craint. Quelque part, quand je demande d’être réhabilité, je demande que l’on me pardonne, que la société pardonne les actes que j’ai commis.





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