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Une heure avec... Un flic en colère

  • Photo du rédacteur: polynegabinari
    polynegabinari
  • 9 juil. 2022
  • 3 min de lecture

Dernière mise à jour : 6 sept. 2022

Bernard est policier depuis 37 ans. Entre amour du métier, politique du chiffre et déception professionnelle, il tente d'expliquer avec son regard d'où vient la récidive.



Bernard est dans la fonction depuis 1984 ©Viktor Fretyan

Bernard, c'est un flic à l'ancienne. En 1995, il intercepte deux individus sur une moto volée. Le premier est bien connu des services, le second, un jeune garçon, n'en est qu'à son premier rapt. Interpellé par le policier, le chauffeur supplie : "N'arrête pas le minot Bernard, je prends tout sur moi". Il accepte. "Et il n'a jamais recommencé !", se congratule le quinquagénaire, "depuis 25 ans, il me remercie quand je passe au rayon produits frais de carrefour, où il travaille", ajoute-t-il, satisfait, malgré l'entorse évidente à la loi.


Pour le commandant, ce côté "familier", la police nationale l'a perdu. Un lien de confiance tissé au fil des années qui permettait de contenir la "délinquance grandissante" et réduire le taux de récidive. Cette "intelligence de la rue" fleurant bon les vieux téléfilms à la Columbo, Bernard l'oppose aux "Bac+5" qu'il accueille depuis quelque temps dans son service. "Ce rapport qu'on instituait n'existe plus. La nouvelle génération de flics n'arrive plus à créer de lien entre la population et elle", explique-t-il.


Le vieux renard


Depuis 37 ans qu’il exerce ce métier, Bernard a eu le temps de voir changer son institution. Les pieds sur la table, les bras croisés, quelques maillots de rugby en arrière-plan et les conversations des collègues en fond sonore. Loin des deux rubans de file d'attente ordonnant en une ligne bien parfaite les plaignants du rez-de-chaussée, le troisième étage du commissariat fait tache.


Sur ce palier d'un autre temps, il attend son adversaire et l'estime d'un seul regard. Ainsi, il saurait à qui il a affaire, ce "vieux renard" de la police, "beber", "oncle berni" ou simplement, Bernard. Commandant de la brigade des stup, il déplore une époque où l'on partageait une Gauloise avec le gardé à vue. Un côté humain qui s'oppose de plus en plus à une politique du chiffre, instituée au début des années 2000 et remise en lumière régulièrement par les syndicats de police.


Fini le terrain


En 2021, retour donc aux formulaires à remplir et aux files d'attente bien ordonnées. Plus le droit aux gardes à vue "comme à la maison" pour le vieux renard de la police. Désormais, les présumés innocents sont arrêtés à la chaîne et connaissent leurs droits. "On ne peut plus les tenir par les couilles, ils sont briefés par leurs avocats et savent d'avance ce qu'ils doivent dire", regrette Bernard. Une transformation que le commandant situe durant les "années Sarko", résultat d'une administration toujours plus lourde et d'une politique du chiffre décriée dès le début par ses pairs.


Sobrement appelé "nouveau management public", ce fonctionnement passe d'une logique d'utilité et de proximité à une rationalité procédurière grâce à une base de données précise mise à jour quotidiennement par chaque policier. Autant dire, "tuer le boulot" pour le commandant de la brigade des stup qui a vu son temps sur le terrain passer de 75 à 50% en seulement quelques années. "Parfois, je les interroge sans avoir eu le temps de "gratter" le dossier à cause de toute la paperasse. Du coup, ils ressortent direct. C'est vraiment du n'importe quoi !", lance-t-il tout en jetant dramatiquement son stylo.


Au-delà d'une montagne de paperasse, cette politique exacerbe la compétition au sein du commissariat. Quasiment autant pistées sur leurs résultats que les délinquants qu'elles traquent selon les dires de Bernard, les équipes se tournent vers des interpellations rapides pour remplir leurs quotas. Un frein évident à la répression de la délinquance pour le commandant qui résume, exaspéré : "C'est à deux doigts s'ils se tirent pas dans les pneus entre collègues pour avoir l'intervention."

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