Les liens involontaires de la récidive : deux histoires vraies
- polynegabinari
- 9 juil. 2022
- 4 min de lecture
Dernière mise à jour : 6 sept. 2022
Ils sont flics ou infirmiers. Sans le vouloir, ils se retrouvent tous confrontés à la même chose : tisser des liens avec ceux qui grandissent derrière les barreaux.

Le 22 juin 2016, un policier racontait dans le premier épisode du podcast d'Arte, Flicopolis : " On parle de clients pour les plus fidèles. Après on a des touristes, des victimes, des mecs qui n'ont rien à foutre dans un commissariat et finalement, elles finissent par compter un peu moins que les autres. Ceux qu'on voit évoluer au fil du temps, c'est vraiment ça notre clientèle. Je suis arrivé il y a pas très longtemps, mais il y en a que j'ai vu grandir, passer d'adolescents à adultes. On a entendu leur voix, leur discours sur la vie et vu leur attitude changer." À rebours de cette politique du chiffre, il y aurait donc des liens, ténus, involontaires et fragiles qui se tisseraient entre les hors la loi et les institutionnels. Voici deux histoires qui les explorent.
Arnaud, brigadier OPJ
"Quand je bossais à Saint Etienne, il y avait ce gamin horrible, une des pires crevures que j'ai jamais vu, un petit gars, 1m60 pour 50 kilos qui avait peur de rien. Je m'en souviens bien, du haut de ses 14 ans, il faisait chier tout le quartier. Il pouvait même pas dealer tellement il emmerdait tout le monde. Au début, il a commencé par voler des vélos, puis il s'est mis aux scoots. Il cherchait tellement la merde, qu'à chaque fois qu'il était contrôlé, il se chopait un outrage à agent en plus.
Comme c'était un habitué de nos services, plusieurs fois par semaine, de ses 12 à 14 ans, je le ramenais chez lui, dans sa famille. À force, sa mère et sa sœur s'étaient habituées à moi. D'une certaine manière je suis un peu rentré dans leur vie, sans le vouloir. Sa sœur, par exemple, c'était tout le contraire de lui, elle faisait tout pour s'en sortir, elle se démenait vraiment. À chaque fois que je venais, elle était là, très discrète, elle faisait ses devoirs et apprenait ses leçons. Lui, plus il grandissait, plus il dépassait les limites.
Un jour, il a décidé de voler une voiture... Il n'avait même pas le permis ! La voiture a eu un accident, il est mort à bord. Il avait 14 ans, n'a même pas eu le temps de devenir récidiviste. Je dis ça "récidive" parce que d'un point de vu légal, ce gamin n'a quasiment pas été jugé. Déjà car il était mineur, ensuite parce qu'il faisait tellement de petites conneries que ça aurait pris trop de temps avec la paperasse. Ce qu'il aurait fallut faire avec ce gamin, c'est le sortir impérativement des coins où il trainait mais là, on pouvait pas. C'est là où tu te rends compte que le temps de la justice, ce n'est vraiment pas le même que celui de la rue."
Guillaume, infirmier dans un centre de détention

"Mon rôle en étant infirmier, c'est de soigner les prisonniers et de m'assurer qu'ils aillent bien. C'est dans ce contexte que j'ai rencontré Polo. "Polo", c'est le surnom qu'on lui a donné. En fait, je crois que je ne me souviens même plus de son prénom... Polo, c'est un immense gaillard qui fait un peu flipper. Il a une cinquantaine d'années et plein de cicatrices partout. Le problème avec Polo c'est que son physique n'est pas tout à fait en accord avec son esprit. Lui, c'est comme s'il était un enfant dans sa tête. Son truc quand il est dehors, c'est soit de rentrer chez les gens et de leur voler des trucs dans le frigo ou bien de se mettre à poil dans la gare. Il est pas méchant mais son attitude, ça colle pas avec la société. Et comme personne le veut, qu'il est vraiment bizarre et n'a pas un centime en poche, il atterrit toujours en prison.
La première fois que je l'ai rencontré, c'était dans la clinique du centre. Il s'était ouvert le ventre. Parce que oui, Polo quand il est en prison, il a besoin d'attirer l'attention. Alors, il se fait mal, se fracasse la tête contre les barreaux ou s'ouvre la gorge avec une lame. Un jour, il se serait même découpé l'estomac et mis des graviers dedans. Ce qui est dingue avec cet homme, c'est la façon dont toute l'équipe pénitentiaire a adapté son fonctionnement à cet être particulier. Par exemple, quand il arrive, on ne le met jamais avec les autres, il a sa cellule particulière. En ce moment, on le voit plus car il est dans une autre prison. Ce sont les gars de son nouveau centre qui nous l'on appris : ils nous ont appelé pour savoir comment on faisait pour gérer ce mec impossible à contrôler.
Depuis qu'il est n'est plus dans la prison, je ne pourrais pas dire qu'il me manque mais c'est vrai qu'il a vraiment un côté attachant. Quand il est sorti la dernière fois, il nous a tous embrassés, il était tellement heureux. Moi, il m'appelle tonton, ce qui n'a aucun sens quand on y pense : la première fois que Polo a dû mettre les pieds en détention, je n'étais même pas né !"
Comments